Anick : Bonjour, je m’appelle Anick Pelletier. Je vis de l’autre côté de l’Atlantique, au Québec ! J’exerce le métier d’orthopédagogue depuis plus de 22 ans, et j’ai développé des techniques d’intervention par le jeu de société qui ont conduit à la pédagogie OptiFex. En 2024, j’ai rejoint le Comité pédagogique de Babaoo.
Lorsque je rencontre un enfant en difficulté d’apprentissage, mon premier objectif est de comprendre pourquoi il a besoin de moi. Mon rôle est de trouver les causes (mémoire à court terme, attention, imagerie mentale, inhibition, etc.), et d’y remédier ; ou encore référer à un autre spécialiste si besoin.
Si je suis capable d’agir sur les causes, je mets en place des stratégies de rééducation adaptées. Par exemple, si le problème touche à la Mémoire à court terme, je vais faire prendre conscience à l’enfant de ce qu’est la Mémoire à court terme, lui faire percevoir son utilité au quotidien et m’appuyer sur différents matériels et jeux pour y remédier et assurer un transfert au niveau des apprentissages. Et ça fait 22 ans que je fais ce travail !
Ma grosse « tasse de thé », c’est la tranche d’âge entre 3 et 12 ans, mais j’interviens aussi chez les 12 ans et +, auprès des adultes qui reprennent leurs études, à l’université ou auprès d’étudiants qui souhaitent être plus efficaces dans leur scolarité. Non pas parce qu’ils ont un trouble, mais parce qu’ils souhaitent améliorer leur efficacité dans leurs études par exemple.
Oui, c’est vrai ! En France, on voit plus souvent l’orthopédagogue pratiquant dans un cabinet privé, comme un orthophoniste, mais il y a peu d’orthopédagogues rattachés à un établissement scolaire, contrairement au Canada. Au Québec, il y a un ou plusieurs orthopédagogues dans toutes nos écoles !
Une autre différence : en France, l’orthophoniste en milieu scolaire s’occupe régulièrement des mathématiques ; alors qu’au Canada, c’est l’orthopédagogue qui prend en charge cette remédiation !
J’ai un baccalauréat (ndlr : formation de 1er cycle universitaire au Québec) en Enseignement en Adaptation scolaire. Quand j’ai commencé mes études supérieures en l’an 2000, le baccalauréat en orthopédagogie avait été “aboli’, l’idée des politiques étant de favoriser l’inclusion en classe ordinaire, plutôt que la remédiation en petits groupes.. L’idée supposée était de former davantage d’enseignants en adaptation scolaire que d’orthopédagogues…
J’ai donc suivi le cursus d’Enseignement en Adaptation scolaire, et je me suis très vite rendue compte que cette formation n’allait pas me préparer à devenir orthopédagogue comme à l’époque. J’ai donc décidé de me former par moi-même, avec un chemin un peu… hors-piste ! (rires) J’ai étudié les troubles de l’apprentissage en Licence Professionnelle, en me concentrant sur la manière de remédier aux troubles comme la dyslexie, la dysorthographie, la dyspraxie, les fonctions exécutives, etc.
Puis, je me suis formée auprès d’anciens orthopédagogues qui avaient suivi la formation traditionnelle, axée sur le dépistage de causes et la remédiation individuelle parce que c’est comme ça que je voulais travailler : être capable d’intervenir spécifiquement sur les besoins réels de l’élève, intervenir à la base pour bien restructurer et transférer par la suite.
En Enseignement en Adaptation scolaire, on intervient lorsque les élèves sont déjà en difficulté depuis un certain temps. Moi, je voulais intervenir avant, pour comprendre comment prévenir ces difficultés et enseigner aux élèves les bases de leur propre cerveau.
À l’époque, ce n’était pas vraiment pratiqué, mais j’ai eu l’intuition d’enseigner le “Pourquoi” aux élèves et donc, “le Cerveau”. Par exemple, si un élève à des difficultés en classe, est-ce que c’est son Attention qui défaille ? Mais pourquoi l’Attention ? Et qu’est-ce que l’Attention, au juste ? Je lui explique que ce n’est pas de sa faute, mais plutôt que ça relève possiblement du fonctionnement de son Cerveau, dans lequel il y a des neurones… En fait, on raconte tout aux enfants de manière très simple et vulgarisée ! L’objectif est de leur faire prendre conscience des différents réseaux de neurones, de leurs rôles et du fait qu’ils sont malléables !
C’est ainsi que j’ai commencé à introduire cette méthode dans ma pratique, et pendant une dizaine d’années, j’ai réalisé des projets avec des écoles publiques et privées.
Après avoir eu mes deux enfants, je ne pouvais plus mener tous ces projets de front… J’ai décidé de consacrer mon temps à l’approche OptiFex que je développais déjà depuis une plusieurs années et de lancer mon propre cabinet en libéral avec la clinique d’orthopédagogie Optineurones.
L’objectif de cette clinique est d’accompagner les élèves en difficulté, à la fois au cabinet privé et directement dans les écoles, par divers projets, ainsi que de dispenser de la formation.
L’idée est d’outiller les élèves, mais aussi de fournir des ressources aux enseignants et aux parents. Ils font partie du projet. Ils reçoivent le même enseignement que les enfants, car ils ont aussi besoin d’être formés pour adopter une posture d’accompagnement. C’est de cette démarche qu’est née la formation OptiFex.
L’approche OptiFex vise à optimiser le réseau des Fonctions Exécutives. À l’origine, elle était uniquement dispensée à des élèves en difficulté, pour offrir une remédiation concrète, un élève à la fois. Petit à petit, les enseignants des écoles m’ont contactée car ils trouvaient cette démarche superbe et efficace. Après tout, chaque enfant à un cerveau, mais très peu comprennent comment les neurones fonctionnent ! L’idée a été de développer cette formation pour pouvoir la donner dans les écoles et former les enseignants à cette approche, afin qu’il la mette en place à titre préventif et remédiatif dans leur classe !
Concrètement, l’approche OptiFex vise à faire prendre conscience du fonctionnement du cerveau, des neurones, de la neuroplasticité et de l’importance de prendre soin d’eux par le biais du sommeil, de l’alimentation, de la gestion du temps d’écran, de l’activité physique, etc. On fait prendre conscience aux enfants des différents réseaux de neurones nécessaires aux apprentissages, à la régulation de leur autonomie, de leurs comportements, de leurs émotions… Et nous donnons des astuces d’autorégulation. Nous faisons vivre des expériences aux élèves à travers les jeux de société pour leur faire prendre conscience de leurs Fonctions Exécutives en action, de manière ludique.
Les enseignants ont accès à du contenu sous forme de capsules d’enseignement, d’aide-mémoire, de vidéos de transfert et du graphisme Optifex. Chaque Fonction a sa propre capsule ainsi que le cerveau, les neurones et l’hygiène. Une fois les capsules écoutées en classe, les parents des élèves y ont accès pour la mettre en pratique à la maison.
Pour sa part, le jeu de société permet aux élèves de prendre conscience de leur niveau d’autorégulation et de pratiquer des techniques pour s’améliorer. En quelques mots, l’approche OptiFex c’est une prise de conscience à travers l’enseignement et l’expérience par le jeu de société.
D’autre part, grâce à OptiFex, j’accompagne d’autres projets de recherche comme le projet de recherche « JEuMETACOGITE » et j’interviens régulièrement en tant qu’experte sur des sujets liés aux Fonctions Exécutives, au fonctionnement du cerveau ou à l’utilisation du jeu de société en pédagogie.
Oui, le jeu sert de support d’observation purement qualitative, mais je l’utilise aussi et surtout pour la remédiation. Quand on est en phase d’observation, l’objectif est de laisser les élèves explorer et apprendre à jouer sans leur enseigner immédiatement d’astuces de régulation. En revanche, à la fin du jeu, on va discuter ensemble : est-ce que l’enfant a utilisé certains neurones plus que d’autres ? Est-ce que des Fonctions ont été utilisées plus que d’autres ? Quelles astuces l’élève a utilisées pour réussir le jeu ? Bref, on fait un retour sur l’expérience vécue.
Aussi, les élèves ont accès à une vidéo explicative du jeu qui présente simplement les règles du jeu. S’ils le souhaitent, ils ont accès à une seconde vidéo : c’est Madame Anick qui donne des astuces d’autorégulation à l’aide de ce même jeu ! C’est une aide supplémentaire. L’objectif est qu’ils deviennent fonctionnels, adéquats avec eux-mêmes, les autres, au travail, en société, etc. La perfection exécutive n’existe pas !
Nous utilisons le jeu pour observer car les Fonctions Exécutives s’observent ! Nous passons par le jeu, car c’est ludique et lorsqu’il est bien choisi, il aide à ouvrir l’affectif. L’objectif est de prendre du plaisir et si le jeu ne plait pas, on va essayer de comprendre pourquoi et choisir un autre jeu. Nous rendons les élèves acteurs pour trouver les jeux et ils adorent ça !
Ah ! La réponse est assez loufoque (rires). « Je suis tombée dans la marmite des jeux de société quand j’étais petite…» Ma maman Maryse m’a baignée dans cet univers, j’ai eu cette chance-là. Dans notre rue, toutes les mamans achetaient des jeux une fois par an, puis se les échangeaient entre elles le reste de l’année. C’était génial ! Nous jouions avec un jeu pendant un mois, puis il partait chez un voisin. Alors si je voulais rejouer à ce jeu, je devais aller chez lui pour y rejouer ! Ça a fini par créer une communauté dans la rue, c’était fantastique ! Nous avons passé notre enfance à jouer ensemble avec les copains de la rue. C’est de cette manière que j’ai connu beaucoup de jeux.
Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai souvent eu l’idée d’utiliser des jeux pour transmettre certaines notions. C’est de cette manière que je les ai intégrés dans mes méthodes d’enseignement : j’ai naturellement fait le lien entre le jeu et des actions cognitives.
Au début, j’allais dans les boutiques, les propriétaires étaient géniaux : ils me laissaient passer des heures à décortiquer les nouveaux jeux et à les classer. Ça fait 22 ans que j’entretiens plusieurs listes qui sont accessibles gratuitement sur le site de la clinique Optineurones. Il y a des recensements de jeux pour les mathématiques, le français, les Fonctions Exécutives, etc.
Oui, bien sûr ! Slack Jack est un de mes jeux. J’ai aussi créé le jeu « Dans ma valise » pour observer comment un apprenant stocke de l’information en mémoire et enseigner des stratégies d’organisation et de récupération en mémoire.
« Les nombres imagés » est un jeu pour enseigner les nombres de manière imagée. Par exemple, le chiffre « 6 » est fabriqué en « saucisse », le chiffre « 7 » ,« il pète », etc. Cela fait rire les enfants, et en même temps, cela les aide à mémoriser plus facilement.
En ce moment, on travaille à la création d’une Collection OptiFex. Il arrive parfois qu’un jeu que nous utilisons ne soit plus édité, ce qui nous oblige à changer constamment de jeux. J’aimerais développer une Collection « OptiFex » permettant de stabiliser et de rendre plus facilement accessible les jeux proposés pour accompagner l’approche. Et qui sait, pourquoi ne pas relancer certains jeux qui ne sont plus édités !
L’idée de cette Collection OptiFex serait d’être une boîte à outils clés en mains pour les enseignants. Pour chaque besoin – quand ils enseignent la régulation émotionnelle, par exemple – il existerait un jeu correspondant. En classe, tout va très vite : intégrer le fonctionnement du Cerveau et des Fonctions Exécutives en plus du programme scolaire peut-être difficile au départ, surtout quand on ne l’a jamais fait. Cette Collection serait un outil facilitant.
Nous imaginons aussi une série d’albums jeunesse pour les plus petits et une série télé sur laquelle je travaille, pour introduire les Fonctions Exécutives. Beaucoup de projets sont en cours !
Mon objectif est aussi d’outiller au mieux les parents. J’en rencontre beaucoup, et je me rends compte qu’ils ont besoin de soutien. Les enfants sont de moins en moins exécutifs, on l’observe depuis une dizaine d’années…
C’est multifactoriel et planétaire. Mais je dirais que je suis capable de nommer, par observation à répétition, que les écrans peuvent y jouer un rôle important : les jeux vidéo, la télévision, internet, les réseaux sociaux… Avoir une vidéo entre les mains et être passif tout en sécrétant de la dopamine sans aucune activation, ça n’aide pas au développement des circuits de l’Activation et de l’Attention de manière autonome. On observe que plus un enfant est laissé devant un écran sans contrôle sur le contenu, le contenant et la durée, plus ses Fonctions Exécutives sont affectées. Des études le corroborent, mais on le voit aussi sur le terrain.
Quand un enfant arrive en âge scolaire au Québec, il a généralement aux alentours de 5 ans. C’est déjà tard pour reprendre certaines habitudes cérébrales déjà bien installées. Si cet enfant a passé trois ans à consommer des écrans sans contrôle, il peut arriver en classe avec des difficultés à mobiliser son attention et à la soutenir sur un objectif obligatoire et non « dopaminé » pour lui, à s’activer, à s’inhiber, etc. Ce que nous constatons sur cette vague générationnelle souligne la nécessité de limiter le temps d’écran et d’adopter une bonne hygiène numérique. On peut jouer, mais pas surconsommer. Nous inculquons cette idée aux enfants : consommer de manière équilibrée, sans pour autant interdire les écrans.
Dans l’enseignement OptiFex, c’est l’une des premières leçons : on apprend le fonctionnement du cerveau, comment les neurones se développent et puis on enseigne que ces neurones s’optimisent avec la myéline, qui elle, se développe avec un bon sommeil. Et pour dormir, il ne faut idéalement pas consommer d’écran deux heures avant le coucher.
À travers cette sensibilisation, nous semons un questionnement auprès des enfants et des parents, et certains changent leur mode de consommation.
Le principe du jeu vidéo éducatif Babaoo m’a rapidement parlé. La première fois que je l’ai testé, ça m’a tout de suite fait penser à certains jeux de société que je propose aux élèves : les enfants sont actifs et interagissent pour faire bouger l’univers du jeu !
J’ai de l’expérience dans les jeux, pas forcément dans le jeu vidéo, mais je pense que nos expertises peuvent se compléter avec l’objectif de Babaoo : faire prendre conscience aux enfants de ce qui se passe dans leur Cerveau et leur vie de tous les jours.
Oui, bien sûr. Ne pas hésiter à expliquer aux élèves que certains d’entre eux peuvent avoir plus de mal à concentrer leur “électricité neuronale” sur une chose à la fois.
En classe, les enseignants peuvent aussi mettre à la disposition des outils pour aider les élèves à se concentrer et éviter que leur Attention ne se disperse. Par exemple, on peut mettre à disposition dans un panier, des choses comme des casques anti-bruits, un lecteur de musique MP3 avec une musique calme choisie par l’enseignant, prendre des “pauses neurones”, bouger et revenir travailler à un endroit différent, etc. De cette manière, l’enfant peut choisir le moyen qui l’aide le mieux à inhiber les distractions externes pour mieux se concentrer.
L’idée est de dédramatiser le fait d’avoir du mal avec son Attention, de le conscientiser, et de sensibiliser les élèves à ce sujet. C’est normal et ça arrive ! Il ne faut pas que cela soit un sujet tabou. Il est essentiel de laisser les enfants choisir la manière dont ils peuvent gérer leur Attention, plutôt que de leur imposer une méthode.
Aider l’être humain ! C’est quelque chose qui me nourrit profondément. J’ai littéralement besoin d’aider les gens à comprendre et à résoudre les problèmes, sans jugement. Mon véritable désir est d’informer les êtres humains et les aider à devenir meilleurs. 😇
Merci Anick pour cet échange ! Pour en savoir plus sur la méthode OptiFex d’Anick, rendez-vous sur le site Optineurones.